Elle se bat depuis des années et sur tous les fronts pour que les personnes guéries d’un cancer aient accès au « droit à l’oubli ». Nous avons rencontré le docteur Françoise Meunier, figure de proue de ce combat qui commence à porter ses fruits dans notre pays et en Europe. C’est l’interview MHML de ce mois.

D. Léotard

François Meunier Interview

Dr Françoise Meunier, médecin spécialiste (ULB), membre de l’Académie royale de Médecine de Belgique et Vice-président de la Fédération of European Academies of Medicine (FEAM)

La loi relative au droit à l’oubli est en vigueur dans notre pays depuis le 1er février 2020.
Elle instaure un « droit à l’oubli » dans la législation relative aux assurances, pour permettre aux personnes guéries d’un cancer depuis 10 ans de pouvoir souscrire une assurance de type « solde restant dû », comme tout le monde, et sans surprime. Et la Belgique sera le 1er pays au monde à appliquer ce droit à l’oubli aux assurances « revenu garanti » à partir du 1er février 2022. Par ailleurs, il existe une liste d’exceptions, mise à jour régulièrement, reprenant certains cancers de meilleur pronostic pour lesquels les délais sont raccourcis de 2 à 8 ans au lieu de 10 ans.


« Je me bats depuis 2014 pour que le fait d’avoir souffert d’un cancer, et d’en être rescapé, ne soit pas pénalisé durant toute la vie. La maladie est suffisamment difficile à vivre et à combattre, il ne faut pas la payer une seconde fois après sa guérison ! » explique Françoise Meunier, cette oncologue et chercheuse de renom aujourd’hui retraitée. « Je ne suis plus dans la vie active mais je continue mon combat bénévolement, en collaboration avec des juristes. Mon expérience ouvre des portes, il est normal que j’en fasse profiter ceux qui ne jouissent pas de leurs droits à la consommation. Car c’est de cela qu’il s’agit : si votre médecin vous dit ‘ vous êtes guéri’, pourquoi la société pourrait-elle vous empêcher ou vous mettre en difficulté pour acheter un logement par exemple ? » poursuit elle, en mettant en évidence les points encore à améliorer. « Je continue à me battre pour que le droit à l’oubli devienne une réalité législative européenne, je demande qu’on établisse un groupe de travail européen intégrant en son sein des représentants des 4 pays-pilote (France, Belgique, Luxembourg et Pays Bas) qui ont déjà octroyé le droit à l’oubli pour bénéficier de leur expérience et que l’on établisse les principes de base d’une loi européenne harmonisée à propos des droits des consommateurs pour les malades guéris du cancer. Un autre de mes objectifs est qu’on octroie en Belgique, comme c’est le cas en France et au Grand-Duché de Luxembourg, le droit à l’oubli aux enfants et jeunes de moins de 21 ans lorsqu’ils sont guéris depuis 5 ans. »

Au commencement est l’observation

« Pourquoi se battre ? Tout démarre de l’observation : aujourd’hui, le cancer n’est plus une sentence de mort. Les progrès de la médecine ont considérablement fait évoluer l’espérance de vie après un cancer, mais la société n’a pas évolué à la même vitesse. Elle continue à associer cancer et risque de décès rapide alors que les données épidémiologiques, ainsi que celles des registres, confirment que beaucoup de cancers sont guérissables, et que de nombreux patients sont en rémission durant de longues années avec une excellente qualité de vie. Il faut changer les mentalités, en se basant sur les chiffres d’aujourd’hui et pas sur des témoignages et souvenirs qui datent de plusieurs décennies. En matière de cancers, les choses ont réellement beaucoup changé ! » explique le docteur Meunier, en insistant sur l’importance des constats factuels plutôt qu’émotionnels. « Il y a évidemment beaucoup de domaines dans lesquels on peut faire progresser les mentalités (le monde du travail, le dépistage, l’hygiène de vie…), je me suis focalisée pour ma part sur un sujet précis, pour lequel je tente d’avancer petits pas par petits pas. » continue Françoise Meunier en citant les nombreuses associations et initiatives qui se consacrent à améliorer la qualité de la vie, durant le traitement et après un cancer.

« J’adresse mes félicitations à l’initiative my health, my life. Croire à la vie et accompagner les malades dans leur reconstruction physique et mentale, c’est primordial ! »

Faire confiance à la Science

Il n’y a pas un cancer, mais des cancers, qui n’ont pas les mêmes origines, les mêmes mécanismes, ni les mêmes chances de guérison. « Mais je suis persuadée que les médecins, les chercheurs et tous les scientifiques vont continuer à améliorer leur compréhension des processus en cause, et à agir contre la maladie de façon toujours plus efficace et mieux tolérée. Les progrès en matière de dépistage, de diagnostic, d’individualisation de la prise en charge ainsi que les nouveaux traitements vont être développés. Même si, personnellement, je ne pense pas qu’un monde sans cancer soit un jour possible, je suis persuadée que l’avenir permettra de bénéficier d’armes efficaces et sans effets secondaires. Qui aurait cru, lorsque j’étais jeune médecin, que l’on pourrait un jour guérir un malade atteint de cancer ? » continue avec enthousiasme et confiance cette femme qui a pourtant été touchée au cœur de très près par le cancer. « J’ai perdu trop tôt mon mari d’un cancer du poumon, et mon frère est décédé d’un cancer du pancréas, mais je sais et persiste à croire que la seule façon d’avancer, c’est de faire des recherches. C’est ce que j’ai fait durant toute ma carrière scientifique d’abord à l’Institut Bordet, en passant par New York (au Memorial Sloan Kettering Cancer Center) puis à l’EORTC (European Organisation for Research and Treatment of Cancer) en menant des études cliniques internationales et aujourd’hui, je ne peux que constater les progrès parcourus en oncologie en quelques années… » 

Accepter les mains tendues

« Mon message aux personnes confrontées à un cancer ? C’est de croire aux progrès de la science et de faire confiance à ses médecins. Il est aussi crucial de se savoir entouré et de ressentir le support de son entourage, quel qu’il soit. Parce que ça fait du bien, ça contribue à se sentir bien. Et pour cela, il faut oser demander de l’aide, poser ses questions, dialoguer, s’informer… Il ne faut pas rester seul avec sa maladie, il faut accepter le fait qu’elle nous atteint mais aussi accepter les mains tendues. »

 

BE2103230974  - 23/03/2021

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