Isa, 59 ans, est en rémission d’un cancer du sein depuis quelques années. Tout va donc pour le mieux, que demander de plus? pourrait-on dire… Eh bien, ce qui ne va pas bien, c’est sa sexualité : libido en berne, douleurs intenses, absence de rapports, culpabilité sont autant de signes qui lui rappellent sa maladie au quotidien. Elle a accepté, ainsi que son époux, de se livrer aux lecteurs de MHML lors d’une interview croisée.

D.L.

Issue d’une famille bourgeoise de 3 enfants, Isa a dès son enfance appris à ne pas se plaindre, à
« mordre sur sa chique » et à continuer d’avancer malgré les obstacles de la vie. Une vie qui ne l’a pas épargnée, un premier mariage qui se solde rapidement par un divorce, la naissance d’un enfant différent, un parcours professionnel chaotique sont autant d’occasions de se demander « Pourquoi moi ? Qu’ai-je fait pour mériter cela ?» mais elle a la force et l’enthousiasme de la jeunesse et continue son petit bonhomme de chemin toujours avec confiance en la vie.

Quelques années plus tard, elle rencontre celui qui deviendra son second mari et le père de son second enfant. « J’avais déjà connu l’expérience de plusieurs couples lorsque j’ai rencontré Isa, je suis un peu plus âgé qu’elle » nous explique-t-il. « Avec elle, j’ai tout de suite compris que ce serait différent, sans disputes, respectueux et partenaire. » 

C’est à 53 ans qu’elle apprend son diagnostic de cancer du sein. « C’est un choc, puis très vite, on continue : il faut être forte, s’occuper de son travail, de son ménage, de ses enfants » explique Isa. « Je ressentais parfois de la culpabilité de ne pas assurer, mais je savais qu’il y avait pire que moi. J’ai ainsi traversé les épreuves des traitements, de l’intervention chirurgicale, de la fatigue, de la douleur et des effets secondaires, entre découragements et craintes passagères et relativisme. La maladie m’a aussi fait faire de belles rencontres, connaître la solidarité et puis, mon mari était présent pour moi, il a enrichi notre relation « autrement », m’a enveloppée de tendresse. J’ai continué à avancer, sans faire de mystères de ma maladie, mais sans faire appel à de l’aide psychologique. C’est mon trajet de vie, je ne me plains pas de mes états d’âme, et m’occuper des autres m’aidait. » 

« Au moment du diagnostic, puis des traitements, c’était la cata pour moi. J’ai eu peur de la perdre mais je voyais bien qu’elle était confiante, alors j’ai peu à peu acquis moi-même cette confiance. » raconte son époux. « Et nous avons découvert une autre dimension, d’autres bons moments à vivre ensemble. Parfois, elle s’excusait d’avoir perdu ses cheveux, de ne pas être en forme, de ne pas être attirante, elle pleurait, me disait que cela lui faisait de la peine pour moi. Mais, moi, c’est une personne que j’aime depuis 25 ans, pas un corps ! », lui répondait-il alors, rassurant.

Seulement aujourd’hui, quelques années et un traitement hormonal plus tard, les choses n’ont pas vraiment bien évolué du côté de leur vie intime. « Je fais vraiment un blocage sur la sensualité et la sexualité. Je n’ai jamais eu un bon rapport avec mon corps, je ne me trouve pas jolie mais aujourd’hui, c’est le néant. La sécheresse vaginale intense et ma libido inexistante font du rapport sexuel une épreuve très douloureuse. J’ai pensé ressentir ce que ressentent les victimes de viol. Alors, j’évite tout jeu sexuel, toute caresse, de peur qu’ils soient suivis d’une pénétration. Je sais que cela ne devrait pas être ainsi, mais je n’entreprends rien pour que cela change. Les crèmes et lubrifiants, j’ai essayé mais ce n’est pas suffisant ! Et les médecins ne parlent pas beaucoup de cet aspect des choses, alors je n’en parle pas non plus, par pudeur, et pour préserver mon mari du qu’en dira-t-on… Et puis, il n’y a pas que la douleur, ce que je vis toujours mal c’est que je n’aime pas mon corps, que je n’aime pas ma tête avec ces cheveux courts, sans volume… Je vieillis aussi, alors on fait ‘autrement’ ou plutôt on ne fait pas, j’ai parfois peur qu’il aille voir ailleurs… La seule chose que je sais faire, c’est proclamer mon amour, vivre et faire des projets avec lui. » dévoile Isa.

« Dans un premier temps, j’ai essayé de réapprivoiser notre sexualité malgré l’absence de désir d’Isa.» explique son mari. « Il faut dire que j’étais en pleine période de ‘démon de midi’ et que je pensais sincèrement qu’avec le temps, nous allions retrouver nos plaisirs de couple, même différents. Mais j’ai compris que pour elle, ce n’était pas possible, que le rapport sexuel était au-delà d’une frontière devenue interdite... Aujourd’hui, j’ai moi aussi vieilli, et mon corps aussi, et nous vivons une vie complice faite de tendresse et de patience. Ce problème est passé au second plan pour moi. »

Le message d’Isa aux personnes confrontées à la maladie

« Lorsque la maladie nous atteint, il faut lui laisser la place qu’elle a prise dans notre vie.  La vie ne s’arrête pas et on a le droit de se plaindre lorsque cela ne va pas ! Etre résilient, c’est ne pas être dans le déni… »

Curated Tags

Nos publications